Il s’agit presque, à vrai dire, de faire le grand écart des
deux côtés de l’Oural :
- versant occidental, Ginger’s Tale, de Konstantin Scherkin, est un dessin animé sous forte influence Disney, avec une méchante reine qui ressemble (malgré un visage anguleux) à celle de Blanche-Neige, des flots de magie, et une jeune héroïne intrépide à couettes qui paraît directement importée de Bernard et Bianca.
Cet allègre conte moral sur l’appât du gain (tout le monde se dispute une sorte de pierre d’abondance) tente néanmoins de se distinguer par ses couleurs, plus brunes et plus sourdes, et son trait plus nerveux. Pari à demi réussi, pour un divertissement conçu pour la jeunesse, dont le rythme et l’énergie compensent le manque d’originalité.
- De l’autre côté du paysage (pour ne pas dire sur la face nord, et surtout abrupte), The Nose or the Conspiracy of Maverick, d’Andrey
Khrzhanovsky, s’adresse manifestement aux adultes, et pas n’importe
lesquels : les plus avertis, les plus lettrés... les plus endurants.
C’est une fresque fantasque et foisonnante, surchargée de références artistiques et politiques sur tout le spectre du malheur russe, du XIXe siècle de Gogol à la mise en images de l’opéra que sa fameuse nouvelle Le Nez inspira en 1928 au compositeur Dmitri Chostakovitch, ou encore aux démêlés de l’écrivain Boulgakov avec Joseph Staline. Un savant charivari de papier découpé, de prise de vues réelles, d’animation 2D et par ordinateurs, d’idées visuelles fulgurantes, de trognes tragi-comiques et d’hermétisme érudit.
Du spectacle commercial « à l’américaine » à cette savante folie culturelle, les deux facettes de l’animation russe ne font pas que s’exposer à Annecy : elle s’y opposent étrangement.